Aujourd’hui encore, l’arrêt de Lost continue
d’avoir des conséquences sur la télévision américaine. Outre le fait que son
final a mécontenté une grande partie des fans (je ne suis pas d’accord avec ça,
mais ça n’est pas le sujet ici), elle a laissé un vide dans le paysage
audiovisuel américain que les producteurs cherchent à tout prix à combler. Et
depuis, chaque année, on assiste au mois d’octobre à l’arrivée de séries qui
tentent de se vendre comme l’héritière de Lost dans le genre "série
d’aventure un peu fantastique avec un gros mystère en trame de fond", mais
qui font surtout un gros flop. Leurs noms ? The Event, Alcatraz, Terra
Nova… Cette année, la dernière arrivée s’appelle Revolution et elle souffre
déjà de ce que j’appelle le syndrome FlashForward, du nom de la première de ces
séries à avoir connu un échec à peu près aussi retentissant que le buzz qui les
avait précédées. Alors comment identifier le syndrome FlashForward ? et
Revolution va-t-elle vraiment en être victime ?
Tout d’abord, ces séries sont reconnaissables à
ce qu’on appelle dans le milieu un high concept, c’est-à-dire un concept fort,
original, inédit et intriguant. Bref, un pitch qui en fait des caisses pour faire parler de lui ! Par
exemple, FlashForward partait du postulat que tous les habitants de la planète
avaient eu au même moment un aperçu de ce que serait leur vie 6 mois plus tard.
Alcatraz promettait de revenir sur la disparition mystérieuse des prisonniers
de la fameuse prison de San Francisco et leur réapparition encore plus étrange des
années plus tard.
Dans le cas de Revolution, nous avons là aussi
affaire à un concept puissant : un jour, à un moment précis, toute source
d’électricité s’est brusquement arrêtée, et ce, sur toute la surface de la
planète. Tous les appareils électroniques (électroménager, téléphones, moyens
de transports…) se sont subitement éteints. Le black-out total. Mais le concept
de la série ne s’arrête pas là. Le spectateur est immédiatement projeté 15 ans
plus tard pour découvrir un monde post-apocalyptique proche de celui que
connaissaient les Etats-Unis au moment de la guerre de Sécession. Et c’est bien
là qu’est le problème de cette série : elle veut en faire trop. En un
épisode, elle cherche à aller très vite pour immiscer immédiatement le
spectateur dans un nouveau monde avec de nouvelles règles. Elle passe à côté de
questions intéressantes liées à la survie immédiate de la population sans
électricité pour se plonger dans une guerre de territoires à la Risk. A trop en
faire, elle en oublie un peu son sujet de base.
Sur ce point, Lost avait particulièrement réussi
son examen d’entrée puisque le point de départ de la série était bien plus
simple : des survivants d’un crash aérien tentaient de s’organiser sur une
île déserte. En dehors de mystérieux bruits dans la forêt et d’un message radio
incompréhensible, rien ne laissait imaginer que la série virerait dans le
fantastique. Lost a pris son temps pour présenter ses personnages et leurs
affinités naissantes. Ce n’est que peu à peu que les questions ont commencé à
se poser et que le fantastique est apparu. Et ce qui a énervé certains
téléspectateurs a pourtant fait l’immense succès de Lost : lentement mais
surement, les questions se sont multipliées petit à petit et le mystère a
grossi épisode après épisode. Dans Revolution, on ne retrouve pas cette
subtilité : les scénaristes ont préféré tout envoyé dès le début. Ils en
ont même rajouté une dernière couche à la fin du pilote : l’électricité
n’a pas disparu, certains la possèdent encore, dans des médaillons dignes des Cités d'Or… tin-tin-tiiiiiin !
Lorsqu’on a présenté un pilote aussi dense (globalement résumé intégralement dans la vidéo ci-dessus), le
problème qui se pose naturellement est d’assurer la suite en continuant
d’envoyer du lourd. Et c’est là le deuxième symptôme du syndrome
FlashForward : la multiplication des intrigues. Dans FlashForward
justement, chaque nouvel épisode venait complexifier le précédent avec une
enquête toujours plus nébuleuse et des cas personnels trop nombreux pour être
traités convenablement : l’un s’était vu mort dans son flashforward, l’autre
s’était vu tromper son conjoint, un autre encore s’était vu tuer un inconnu… Il
faut reconnaitre qu’il s’agissait en général de bonnes idées mais largement
sous-exploitées, faute de temps.
Dans Revolution, même symptôme, chaque épisode
multiplie un peu inutilement les intrigues. Pire, la série prend un plaisir
assez insupportable à prendre systématiquement le contre-pied de l’épisode
précédent : vous croyiez que tel personnage était mort ? Et ben en
fait nooon… Vous pensiez que celui-ci était gentil ? Et ben pas du
tooouuut ! A vouloir toujours surprendre, on en vient à noyer les
téléspectateurs sous les informations, les cliffhangers et les retournements de
situation. Les auteurs ont assuré que le mystère entourant la panne d’électricité
serait levé assez rapidement. Dans un sens, c’est une bonne nouvelle, mais je
ne suis pas sûr de tenir jusque-là parce qu’en attendant, on se fait chier et
on regarde ce qui arrive aux personnages avec un certain détachement.
Les personnages, parlons-en justement. C’est là
le troisième symptôme de ces séries qui veulent supplanter Lost. Cette dernière
avait sans doute tous les défauts du monde (je ne les vois pas mais passons),
mais on ne peut pas lui enlever sa plus belle réussite : sa galerie de
personnages. En prenant son temps pour faire avancer son intrigue, Lost en a
profité pour donner le plus de profondeur possible à ses nombreux personnages, grâce
aux fameux flashbacks désormais devenus cultes. De cette façon, Lost a pu gérer
de front pas loin d’une quinzaine de personnages subtils, intriguant et
différents avant d’en faire venir d’autres dans les saisons suivantes.
Les séries qui cherchent à remplacer Lost ont
bien retenu la leçon. Mais ont beaucoup de mal à l’appliquer. La pire d’entre
elles en matière de personnages est sans doute Terra Nova. La famille des héros
aussi traditionnelle qu’insupportable se retrouvait confrontée à une bande de
militaires mal dégrossis tout aussi cliché. Rien de ce qui leur arrivait ne
touchait le spectateur. Trop bien-pensante, la famille en devenait tête à claque :
pas un pour rattraper l’autre. En essayant de leurs donner des intrigues, les
scénaristes accumulaient les poncifs, espérant ainsi toucher le spectateur. Sans
aucune subtilité, chaque personnage devenait rapidement marqué par un unique trait
de sa personnalité, le plus souvent caricatural, tant qu’à faire.
Dans Revolution, c’est la même chose. Les gentils
sont très gentils (et du coup très lisses) et les méchants sont très méchants
(et du coup très risibles). Pour noyer le poisson, les scénaristes ont bien
essayé de miser sur l’émotion en introduisant une dose de pathos. Mais au final,
on obtient l’effet inverse de celui escompté : plutôt que d’être pris d’empathie
pour les personnages, on en vient à les détester pour leurs mélodrames qu’ils
ne cessent de nous balancer à longueur d’épisodes avec des trémolos dans la
voix. Je dois avouer que l’équilibre doit être compliqué à trouver : réussir
à donner suffisamment de faiblesses à un personnage pour le rendre attachant,
sans en faire un cassos, accablé par la vie. Sur ce point, Revolution a échoué.
Surtout avec son duo principal : Miles est insupportable pour son coté
"je suis tellement mauvais, je tue tout ce qui bouge, mais je regrette
tellement que c’est trop dur à vivre" et Charlie est agaçante pour son
aspect "je veux aider les autres parce que ma mère m’a toujours dit
de le faire avant de disparaitre" ! Les personnages secondaires ne
sont pas mieux et résultat, tout ce petit groupe m’ennuie, à part peut-être le
personnage de Rachel, mais c’est uniquement dû à son interprète, Elizabeth
Mitchell (que je chéris depuis Lost et ce, malgré son passage dans le dispensable
remake de V). D’ailleurs, en dehors de cette dernière, je dois dire que le casting est globalement assez
raté. Et c’est visiblement un nouveau symptôme qu’il faut ajouter au syndrome FlashForward
(même si celle-ci avait plutôt réussit son coup avec des comédiens comme
Joseph Fiennes, John Cho ou le toujours parfait Dominic Monaghan) : Terra
Nova avait déjà marqué les esprits pour son cast affligeant.
Le seul point positif que je décèle dans ce
fameux syndrome est les moyens visuels mis en œuvre pour ces séries. Qu’il s’agisse
des décors de Flashforward, de Terra Nova ou de Revolution, il faut avouer qu’ils
en jettent. Pas toujours subtils (ça reste de la télévision), les effets
spéciaux, eux aussi, assurent le spectacle, malgré tout. Et pour le coup, ces
séries parviennent à tenir la comparaison avec Lost. Mais c’est bien connu, de
bons effets visuels ne font pas les bonnes séries.
Succéder à Lost n’est donc pas une tâche aisée et
le syndrome FlashForward a fait de nombreuses victimes. Cette année, je prends
le pari que Revolution viendra s’ajouter à cette liste (même si Last Resort,
que je n’ai pas encore vue, semble se rapprocher encore plus rapidement de son
annulation). Et bien que la série se soit vue confirmée pour une saison complète
en raison d’audiences relativement satisfaisantes, c’est souvent le passage à
la deuxième année qui pose problème. Rares sont celles qui y parviennent. J’ai
de gros doutes pour Revolution. Rendez-vous d’ici la fin de l’année pour
connaitre le verdict.
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