Je sais que j’ai souvent tendance à m’émerveiller sur ce
blog. Je fais parfois un peu de surenchère pour vendre des séries que j’aime
bien et il peut m’arriver d’en rajouter un chouia pour être persuasif sur un
sujet qui me tient à cœur. Mais là… là… je viens de voir un chef d’œuvre de la
télévision. Un truc inédit, jamais vu auparavant ; en tout cas, jamais
sous cette forme-là. Il faut absolument regarder le dernier épisode de Modern Family, le seizième de la sixième
saison. J’ai déjà expliqué ici pourquoi je pensais que, même après plusieurs
saisons, il était indispensable de suivre cette série. Ça n’a jamais été aussi
vrai qu’aujourd’hui. Elle vient d’exceller dans l’exercice difficile et rare de
l’épisode en temps réel réalisé intégralement en caméra embarquée.
Le pitch de cet épisode est simple : Claire est à
l’aéroport de Chicago, prête à rentrer à LA après un voyage d’affaire. Juste
avant d’embarquer, elle appelle son mari Phil pour prendre des nouvelles des
enfants. Très vite, le couple se rend compte qu’Haley, leur fille ainée, a
disparu. Claire met alors toute la famille en branle pour retrouver Haley.
L’énorme particularité de cet épisode est qu’on ne voit que
l’écran de l’ordinateur de Claire. Et rien d’autre. Sur son mac, défilent les
fenêtres Facetime, Internet et Facebook qui permettent à Claire de nous montrer
l’intégralité de sa famille interagir avec elle. Détail supplémentaire et
parfaitement géré, l’épisode n’a été tourné qu’avec des iPhones et des iPads.
Le résultat est surprenant. Ainsi de vidéoconférence en recherche Google, on
suit Claire mener l’enquête pour retrouver sa fille, et ce en temps réel (il
lui reste 20 minutes avant de devoir embarquer).
Au-delà de la prouesse technique, l’épisode exploite
parfaitement les contraintes imposées par ce format hors normes et relève le
défi haut la main. Les nouvelles technologies sont brillamment mises en avant (merci
Apple… mais pas que), mais toujours pour servir l’histoire. Les quiproquos, les
runnings jokes, les piques font légion ; tout est parfaitement orchestré, tout
va très vite, tout est drôle. Si les Dunphy sont particulièrement mis en
valeur, les Pritchett (père et fils) ne déméritent pas. Sur le papier, il s’agit
déjà d’un des meilleurs épisodes de la série. Mais avec cette forme inédite, on
passe à un niveau supérieur.
Du grand grand art, vous dis-je.
Si Modern Family innove
en utilisant si remarquablement bien les réseaux sociaux et les nouveaux modes
de communication, elle n’est cependant pas la première à s’essayer à cet
exercice de style hors normes qu’est la caméra embarquée :
X-Files, en février 2000, proposait l’épisode "X-Cops"
(s7e12) : parodiant la célèbre émission de télé américaine COPS, qui montre des flics sur le
terrain dans la réalité de leur métier, la série suivait alors, caméra au point,
Mulder et Scully dans une histoire de loup-garou. Pas si intéressant sur le fond,
l’épisode devenait truculent par sa forme. Tourné en temps réel, il laissait
penser que tout était improvisé et que les mésaventures des deux agents du FBI
étaient réellement prises sur le vif. De nombreuses scènes présentaient les
héros en interaction direct avec les soi-disant journalistes-cameramen de l’émission.
Là encore, une perle du genre.
Urgences, en 1997, avait poussé le défi encore plus loin :
en plus d’être réalisé en camera embarquée par une pseudo-équipe de télévision
venue réaliser un prétendu reportage dans le service des urgences du Cook
County Hospital, l’épisode "Direct aux urgences" (s4e1) fut, comme
son nom l’indique, diffusé en direct. Prouesse technique s’il en est, le direct
vient logiquement renforcer le réalisme défendu par les producteurs
de la série. Sur une idée de Georges Clooney, les acteurs et l’équipe technique
ont ainsi dû jouer deux fois l’intégralité de l’épisode (pour la côte Est puis
pour la côte Ouest), telle une gigantesque pièce de théâtre. France Télévisions,
à l’époque, avait également rediffusé l’épisode en direct et donc forcément en
pleine nuit.
A la Maison Blanche s’est également lancée le défi de la
caméra embarquée à deux reprises. La première fois en mars 2004 lorsque, le
temps d’un épisode ("Les coulisses du pouvoir" - s5e18) une équipe de
télévision venait suivre une journée typique de la vie de CJ Cregg,
porte-parole de la Maison Blanche. Identique à X-Files et Urgences dans
le procédé utilisé, le faux-documentaire permet ici de dénoncer les effets potentiellement
néfastes des médias sur la politique menée par un gouvernement : l’équipe
de journalistes captent en effet des images qu’ils n’étaient pas censés voir et
manquent de provoquer un incident diplomatique.
Mais la série va plus loin en novembre 2006 et se rapproche
un peu plus de la prouesse d’Urgences
en diffusant en direct l’épisode "Le grand débat" (s7e7) :
opposant les deux candidats à la présidence lors d’un faux débat politique sur
un plateau de télévision, la série joue avec les frontières du réel.
Techniquement moins impressionnant qu’Urgences,
l’épisode est cependant un tour de force des comédiens. Les dialogues, comme d’habitude
ciselés au mot près, sont parfaitement déclamés par deux acteurs (qui ne
comptent pourtant pas parmi les historiques de la série) littéralement
habités par leur personnage. Encore un exploit.
L’exercice de la caméra embarquée, qu’il soit diffusé en
direct ou pas, est toujours pour le spectateur l’occasion de découvrir des
chefs d’œuvres d’écriture et de mise en scène. Comme si les difficultés
supplémentaires suscitées par un tel format poussaient les scénaristes et les réalisateurs à se
dépasser toujours plus. Modern Family, avec sa forme encore plus originale,
vient de repousser un peu plus les limites de ce que la télévision peut offrir aujourd’hui.
Un épisode magique, plus moderne que jamais.
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