En 1999, Russel T.
Davies secouait la télévision britannique avec la série culte Queer As Folk : mettant en scène la
vie de trois jeunes homosexuels de Manchester, QAF parlait ouvertement et sans
tabou d’homosexualité, sujet encore relativement inédit dans le monde des
séries. Quinze ans plus tard, dans un paysage audiovisuel plus ouvert à ce
sujet, Davies remet le couvert mais frappe encore plus fort en proposant non
pas une, ni deux, mais trois séries reliées les unes aux autres. Nommées d’après
une étude qui classifie les différents états de l’érection masculine, le triptyque Cucumber-Banana-Tofu
annonce la couleur d’emblée : on est là pour parler de sexe, sous toutes
ses formes.
(durée des épisodes :
40 min)
Diffusée sur Channel
4 (qui avait déjà diffusé QAF en son temps), Cucumber présente les affres sentimentales et sexuelles d’Henry, homme
de 45 ans qui a bien du mal à accepter son âge, son physique, son couple et sa
sexualité. Séparé dès le pilote de son compagnon après 9 ans de vie commune,
Henry emménage dans un loft aussi grand qu’improbable avec Dean et Freddie,
deux jeunes gays tout juste majeurs.
Et c’est là que Cucumber trouve son vrai sujet en
observant le choc des cultures qui oppose deux générations d’homos. La
première (celle de QAF?), vieillissante, complexée et fragilisée par les années SIDA, a dû se
battre pour se faire accepter dans la société. La seconde, totalement désinhibée
(en apparence du moins) est née avec Facebook, Snapchat et Grindr et croque la
vie à pleine dents. Peu à peu, les uns et les autres s’apprivoisent, s’adoptent,
se rencontrent. Et les membres de chaque
"tribu" finissent par se trouver des points communs avec ceux d’en
face.
Totalement barrée,
voire trash, Cucumber n’y va par
quatre chemins : ça parle cul, et ça en parle beaucoup ! Les scénaristes
n’hésitent pas à pousser certaines scènes franchement embarrassantes le plus
loin possible. Et c’est drôle ! Mais la série n’en oublie pas pour autant les
sentiments de ces personnages, souvent écorchés vifs. Et c’est touchant. Les
britanniques sont décidément passés maîtres dans l’art d’amuser et d’émouvoir simultanément
avec des personnages pathétiques et des situations ridicules. En cela, le quatrième
épisode de la série qui se déroule un samedi soir et qui suit les dates de cinq personnages, est un petit
bijou d’écriture. Magnifique.
Banana
(durée des épisodes :
20 min)
Diffusée sur E4, la
chaine à l’origine de la cultissime Skins,
Banana emprunte quelques codes à
cette dernière et notamment celui de se focaliser
sur un personnage par épisode. Au contraire de Cucumber qui feuilletonne et qui suit les mêmes personnages d’un
bout à l’autre de la série, Banana
est une anthologie : chaque épisode raconte la vie d’un perso secondaire -voire
carrément anecdotique- croisé dans Cucumber.
Vingt minutes pour raconter une histoire. Autant de courts-métrages brillants.
Si Cucumber parle essentiellement des
hommes gays, Banana choisit d’aborder
toutes les sexualités, tous les genres et toutes les identités d’une nouvelle génération
LGBT qui s’assume peut-être plus facilement que les précédentes, mais qui a encore
bien du mal à trouver sa place dans un monde hétéronormé.
Plus pop, plus jeune,
plus clipesque et tout aussi bien réalisée, Banana
est capable, comme Cucumber, d’être
bien barré par moment. Le personnage extraverti de Dean avec qui on entame
la série est un peu déroutant et pas forcément des plus intéressants. Mais c’est
lorsqu’elle est touchante que la série est la plus réussie. N’importe quelle
situation, même improbable, peut vous tirer des larmes. Je pense à Scotty dans
l’épisode 2. Et je pense au magnifique épisode 4 tourné autour du personnage d’une
jeune femme trans.
Peut-être la plus
aboutie du triptyque. En tout cas, celle qui me plait le plus jusque-là
(quoique…).
(durée des épisodes :
10 min)
Tofu est une websérie. Une sorte de petit bonus diffusé sur le
site 4oD, le site de VoD de Channel 4 et E4. Un documentaire qui donne la
parole aux comédiens des deux autres séries mais également à des anonymes,
homos ou hétéros, venus parler de… sexualité (pour changer !).
Pas vraiment abouti
dans sa forme, Tofu est également un
peu légère sur le fond. Des choses intéressantes y sont dites, mais c’est souvent
trop rapide, un peu brouillon, pas assez développée. En fait, tout dépend évidemment
du sujet abordé. L’épisode sur le coming-out, avec son sujet plus ciblé, est plus
réussi que le pilote par exemple, qui part un peu dans tous les sens.
Tofu a quand même la particularité de mêler à ces interviews des
séquences décalées, permettant d’expliciter ce qui est dit dans l’épisode.
Parfois très réussies (le monde futuriste du pilote et ses sites de rencontres
en hologramme sont une brillante idée), ces scènes peuvent aussi laisser
perplexe. Là aussi, ça reste bancal.
Russel T. Davies nous
propose donc trois séries qui viennent à nouveau mettre un coup de pied dans la fourmilière
en abordant frontalement les problématiques de personnages LGBT. Plus
provocantes que Looking, leur cousine
américaine, Cucumber, Banana et Tofu contribuent aussi à faire avancer les mentalités en proposant
des histoires plus chocs mais avec des personnages tout aussi attachants.
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