lundi 16 février 2015

Cucumber, Banana, Tofu : Queer as Food

En 1999, Russel T. Davies secouait la télévision britannique avec la série culte Queer As Folk : mettant en scène la vie de trois jeunes homosexuels de Manchester, QAF parlait ouvertement et sans tabou d’homosexualité, sujet encore relativement inédit dans le monde des séries. Quinze ans plus tard, dans un paysage audiovisuel plus ouvert à ce sujet, Davies remet le couvert mais frappe encore plus fort en proposant non pas une, ni deux, mais trois séries reliées les unes aux autres. Nommées d’après une étude qui classifie les différents états de l’érection masculine, le triptyque Cucumber-Banana-Tofu annonce la couleur d’emblée : on est là pour parler de sexe, sous toutes ses formes.


 Cucumber 
(durée des épisodes : 40 min)
Diffusée sur Channel 4 (qui avait déjà diffusé QAF en son temps), Cucumber présente les affres sentimentales et sexuelles d’Henry, homme de 45 ans qui a bien du mal à accepter son âge, son physique, son couple et sa sexualité. Séparé dès le pilote de son compagnon après 9 ans de vie commune, Henry emménage dans un loft aussi grand qu’improbable avec Dean et Freddie, deux jeunes gays tout juste majeurs.
Et c’est là que Cucumber trouve son vrai sujet en observant le choc des cultures qui oppose deux générations d’homos. La première (celle de QAF?), vieillissante, complexée et fragilisée par les années SIDA, a dû se battre pour se faire accepter dans la société. La seconde, totalement désinhibée (en apparence du moins) est née avec Facebook, Snapchat et Grindr et croque la vie à pleine dents. Peu à peu, les uns et les autres s’apprivoisent, s’adoptent, se rencontrent.  Et les membres de chaque "tribu" finissent par se trouver des points communs avec ceux d’en face.
Totalement barrée, voire trash, Cucumber n’y va par quatre chemins : ça parle cul, et ça en parle beaucoup ! Les scénaristes n’hésitent pas à pousser certaines scènes franchement embarrassantes le plus loin possible. Et c’est drôle ! Mais la série n’en oublie pas pour autant les sentiments de ces personnages, souvent écorchés vifs. Et c’est touchant. Les britanniques sont décidément passés maîtres dans l’art d’amuser et d’émouvoir simultanément avec des personnages pathétiques et des situations ridicules. En cela, le quatrième épisode de la série qui se déroule un samedi soir et qui suit les dates de cinq personnages, est un petit bijou d’écriture. Magnifique.



Banana
(durée des épisodes : 20 min)
Diffusée sur E4, la chaine à l’origine de la cultissime Skins, Banana emprunte quelques codes à cette dernière et  notamment celui de se focaliser sur un personnage par épisode. Au contraire de Cucumber qui feuilletonne et qui suit les mêmes personnages d’un bout à l’autre de la série, Banana est une anthologie : chaque épisode raconte la vie d’un perso secondaire -voire carrément anecdotique- croisé dans Cucumber. Vingt minutes pour raconter une histoire. Autant de courts-métrages brillants.
Si Cucumber parle essentiellement des hommes gays, Banana choisit d’aborder toutes les sexualités, tous les genres et toutes les identités d’une nouvelle génération LGBT qui s’assume peut-être plus facilement que les précédentes, mais qui a encore bien du mal à trouver sa place dans un monde hétéronormé.
Plus pop, plus jeune, plus clipesque et tout aussi bien réalisée, Banana est capable, comme Cucumber, d’être bien barré par moment. Le personnage extraverti de Dean avec qui on entame la série est un peu déroutant et pas forcément des plus intéressants. Mais c’est lorsqu’elle est touchante que la série est la plus réussie. N’importe quelle situation, même improbable, peut vous tirer des larmes. Je pense à Scotty dans l’épisode 2. Et je pense au magnifique épisode 4 tourné autour du personnage d’une jeune femme trans.
Peut-être la plus aboutie du triptyque. En tout cas, celle qui me plait le plus jusque-là (quoique…).


Tofu
(durée des épisodes : 10 min)
Tofu est une websérie. Une sorte de petit bonus diffusé sur le site 4oD, le site de VoD de Channel 4 et E4. Un documentaire qui donne la parole aux comédiens des deux autres séries mais également à des anonymes, homos ou hétéros, venus parler de… sexualité (pour changer !).
Pas vraiment abouti dans sa forme, Tofu est également un peu légère sur le fond. Des choses intéressantes y sont dites, mais c’est souvent trop rapide, un peu brouillon, pas assez développée. En fait, tout dépend évidemment du sujet abordé. L’épisode sur le coming-out, avec son sujet plus ciblé, est plus réussi que le pilote par exemple, qui part un peu dans tous les sens.
Tofu a quand même la particularité de mêler à ces interviews des séquences décalées, permettant d’expliciter ce qui est dit dans l’épisode. Parfois très réussies (le monde futuriste du pilote et ses sites de rencontres en hologramme sont une brillante idée), ces scènes peuvent aussi laisser perplexe. Là aussi, ça reste bancal.



Russel T. Davies nous propose donc trois séries qui viennent à nouveau mettre un coup de pied dans la fourmilière en abordant frontalement les problématiques de personnages LGBT. Plus provocantes que Looking, leur cousine américaine, Cucumber, Banana et Tofu contribuent aussi à faire avancer les mentalités en proposant des histoires plus chocs mais avec des personnages tout aussi attachants.

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