Ça y est, le couperet est tombé, à mon grand désespoir: HBO ne renouvellera pas Looking pour une troisième saison mais proposera malgré tout un téléfilm qui viendra conclure les storylines laissées en suspens à la fin de la saison. Maigre consolation pour ceux qui s'étaient attachés à ces personnages.
Profitons malgré tout de l'occasion pour revenir sur les attentes et les polémiques qu'elle a suscitées avec Arthur Vauthier, auteur sur le blog Séries Chéries.
(ah et forcément, c'est un bilan, donc ça spoile parfois...)
(ah et forcément, c'est un bilan, donc ça spoile parfois...)
Que penser de la saison 2 finissante ? A-t-elle rempli les attentes
suscitées par la première saison ?
Arthur : La saison 1, les lecteurs de Séries Chéries le savent,
m’avait séduit vers la fin, après une longue mise en place de son propos.
J’attendais une saison 2 sur les chapeaux de roue, et sur ce point je n’ai pas
été déçu. Le personnage d’Agustin, insupportable dans la première saison,
peinait a susciter l’empathie ; il a subi un revirement narratif complet qui le
rend désormais beaucoup plus attachant. A l’inverse, le personnage de Patrick,
de plus en plus insupportable, a manqué de me faire arrêter la série.
Stéphane: Ah Patrick... Personnellement, je fais partie des défenseurs de ce
personnage maladroit, immature parfois même condescendant mais justement
pourtant si touchant pour ces faiblesses qu'il semble ne pas voir. Enfin, je
comprend qu'il énerve en effet, surtout dans cette saison 2.
Contrairement à Arthur, Looking m’a séduit dès son pilote - que je
compte parmi les meilleurs de ces dernières années - et la saison 1 avait, à
mon sens, tenu les promesses de ce premier épisode. La saison 2 s’inscrit dans
cette continuité et vient confirmer ce que je pense : Looking est décidément
une réussite. Malgré de nombreuses critiques sur son rythme, son ton, son
thème, Looking est restée parfaitement fidèle à ce qu’elle était pendant sa
première année : une série sensible, humaine, alliant à la perfection les
problématiques générales d’une communauté à celles plus intimes de quelques
personnages. Finalement les deux saisons auraient pu ne faire qu’une, ne
serait-ce que par son unité de temps (il semble que moins d’un an se soit
écoulé entre le pilote et le dernier épisode de la saison 2).
L’épisode 5 de la
saison 1 avait fait l’unanimité du public. Cette année, je retiendrai le season
premiere (cette fête champêtre), l’épisode 5 (en écho à celui de la saison 1)
et l’épisode centré autour du personnage de Doris. Le season finale est
également très intéressant mais risque d’en frustrer plus d’un, en attendant le
téléfilm de conclusion promis par HBO.
Côté personnages, en plus de Doris qui
prend enfin la place qu’elle méritait, il faut saluer l’arrivée d’Eddie,
personnage ô combien attachant, riche et intéressant, et des thématiques qu’il
amène avec lui.
Arthur : Je partage l’avis de Stéphane sur la question du rythme et
du ton, de la sensibilité de la série : la réalisation et la photo, le jeu des
acteurs, les dialogues drôles et naturels font de Looking une réussite. Doris
et Eddie sont des atouts non négligeables, d’autant que ces personnages
secondaires sont véritablement originaux, là où les autres correspondent
davantage à des stéréotypes. Le charisme de ces comédiens n’y est sans doute
pas étranger. En revanche, là où nos avis diffèrent, c’est dans le traitement
des problématiques générales d’une communauté vis-à-vis des problématiques
intimes rencontrées par les personnages. Parce que, à mon sens, la série n’a
pas réussi à se positionner vis-à-vis de ce qui est indéniablement son thème
majeur - l’homosexualité - et à déterminer ce qu’elle voulait en dire.
Looking, descendante de Queer as Folk ? Quelle différence avec son
aînée ? Comment se positionne-t-elle dans le paysage des séries LGBT ?
Stéphane : Pour moi, Looking n’est pas une descendante directe de
QAF, mais plutôt une cousine éloignée. Comme je l’avais dit au cours de la
saison 1, Looking n’est pas aussi militante que Queer as Folk. Contrairement à
son aînée (qui avait dû ouvrir la voie en son temps), elle ne traite pas ou peu
des problèmes d’acceptation de soi, de coming out et de la place des homos dans
la société. Looking a le mérite d’être une des premières séries à parler de la
communauté homosexuelle sans se limiter à ses problèmes d’acceptation dans une
société majoritairement hétérosexuelle. Elle préfère focaliser son attention
sur les problèmes amoureux, sexuels, amicaux et professionnels de ses
personnages. Les problèmes de tout un chacun, finalement. Par rapport à
d’autres séries LGBT du moment (je pense aux géniales Cucumber et Banana mais
aussi à Glee ou Please like me), Looking fait le choix du profil bas : pas
d’extravagance dans ses personnages, pas de héros larger than life, pas
d’effets de réalisation outranciers. Non, Looking choisit la petite porte et ça
fait du bien.
Arthur : Et pourtant, Looking distille des idées militantes tout au
long de cette saison 2. Qu’il s’agisse du regard qu’elle porte sur la
séroposivité d’Eddie et le traitement préventif, ou même du regard que Patrick
porte sur lui-même, sur sa propre homosexualité, la série semble consciente des
problématiques contemporaines des homosexuels.
Stéphane: C’est vrai, mais je ne dirais pas que les idées présentées
dans cette saison 2 sont militantes car les scénaristes de Looking se gardent
bien de donner leur avis. Elle lance des débats, des discussions mais laisse
les réponses ouvertes pour que chacun puisse se faire sa propre opinion. Et
encore une fois on sort de la storyline habituelle attribuée aux homosexuels
dans les séries : le coming-out.
Arthur : Certes, il ne s’agit plus de coming-out, puisque Looking
s’est donné pour cadre une enclave du monde où les hétérosexuels n’existent
pas, et où tous les événements sont déclinés en version gay (la rave party gay,
le match de rugby gay, le salon du jeu vidéo gay, l’immeuble où l’on ne
rencontre que des voisins gays qui organisent des soirées où tout le monde est
gay, etc. : même quand ils sortent de San Francisco pour retrouver leur ville
d’origine, Dom et Doris finissent dans un bar gay…). En replaçant toujours
l’homosexualité au centre de son propos, la série finit par nous présenter des
personnages qui, s’ils ne sont plus en lutte pour être acceptés par la société
dans leur différence, ne se définissent plus eux-mêmes qu’à travers leur
orientation sexuelle. L’indétermination de la série que je pointais plus haut
se retrouve ici : à la fois Looking se veut héritière contemporaine des séries
qui ont ouvert la voie, en plus naturaliste et plus amère, et à la fois elle
s’est coupée du monde réel, proposant un univers fantasmatique où tout le monde
est homosexuel et où subsistent seules les problématiques sentimentales de ses
protagonistes. En résumé, Looking réalise l’expérience sociologique d’un monde
qui n’existe pas, et reste à cheval entre une observation de mœurs et les
tribulations amoureuses d’un feuilleton lambda. Il eut été plus judicieux de
choisir entre les deux.
Stéphane : Oui, il faut bien admettre que les personnages de Looking
vivent entre eux dans un monde exclusivement homo (le coup des voisins du 5ème
étage était un peu énorme en effet !) mais après tout, c’est une réalité pour
de nombreux homos qui ne sortent que dans des endroits où ils se sentent libres
d’être eux-mêmes avec des gens qui leur ressemblent.
Looking est-elle représentative de l’homosexualité d’aujourd’hui ?
Stéphane : Quelle question étrange. Et pourtant elle revient sans
cesse quand on parle de Looking. Je ne comprends pas pourquoi la série se
devrait de représenter à elle seule l’homosexualité d’aujourd’hui.
Arthur : Parce qu’il s’agit d’une série sur une bande de potes gays
- ce qui ne court pas les rues - et parce qu'elle choisit des protagonistes
issus d'une minorité (5, 10% de la population ?), la question de le
représentativité est presque induite.
Stéphane : Soit, c’est très juste. Mais Looking ne s’est jamais
vantée de représenter l’intégralité des homosexuels de cette planète. Les
auteurs ont toujours proclamé vouloir présenter UNE vision réaliste du monde
gay, et pas le monde gay dans sa globalité. Et ils ont raison. Alors certes,
les garçons de Looking sont tous blancs, riches, masculins et cisgenres. Mais
même si la série ne montre pas de folles et préfère présenter des garçons peu
ou pas efféminés, ça n’est pas pour autant qu’elle est réductrice ou excluante
(la saison 2 montre d’ailleurs beaucoup de tendresse à l’égard de personnages
trans dans les rares moments où on les voit). Je pense juste qu’elle a le
défaut d’être l’une des pionnières sur ce thème et qu’on attend d’elle qu’elle
comble le retard de ces décennies de séries hétérocentrées en abordant tous les
sujets. Ce qu’elle ne peut évidemment pas faire.
Arthur : Pour ma part, je ne trouve pas judicieux de proposer une
série homocentrée pour combler le retard de décennies de séries hétérocentrées.
J’aurais préféré que Doris ne soit pas l’hétéro de service mais une femme à
part entière, et qu’un épisode centré sur elle et sur son retour dans sa ville
d’origine puisse nous couper, au moins le temps d’un épisode, de toutes les
questions sur l’homosexualité. Mais non. Il fallait montrer un bar gay de
province. Il fallait que Dom annonce son homosexualité à son père mort et
s’époumone dans un cimetière en criant “JE SUIS GAY”. C’est dommage. De la même
façon, quand Patrick et Kevin montent ensemble un nouveau jeu vidéo, pourquoi
faut-il que les stéréotypes gays en soit le sujet et le principe ? Pourquoi le
présenter à un salon gay ?
Stéphane : Je trouve pourtant que Looking dresse un portrait très
réaliste et très moderne de ce groupe spécifique de jeunes homosexuels de San
Fransisco. Leurs références, leurs codes, leurs habitudes sont ceux de nombreux
gays d’aujourd’hui. En ce point, c’est très rafraîchissant. Et je crois que
beaucoup pourraient se reconnaître dans leur comportements amoureux et sexuels,
et ce, qu’on soit hétéro ou homo, garçon ou fille.
Arthur : Il aurait fallu que la série détermine ce qu’elle voulait
dire : est-elle une “série gay”, dont les personnages sont gays et n’évoluent
que dans leur propre communauté ? ou bien est-elle une série sur des mecs
d’aujourd’hui, un peu paumés face aux représentations amoureuses de leurs
parents, de la société, leur accomplissement personnel, qui ont des emmerdes
sentimentales et amicales, ou professionnelles, et à travers lesquels, en
effet, n’importe qui pourrait se retrouver, garçon ou fille, homo ou hétéro ?
Looking est-elle ennuyeuse ?
Arthur : C’est en effet une critique qui revient souvent, mais il ne
faut pas s’y fier. Son rythme lent et son naturalisme permettent de coller aux
personnages et de les rendre très réels.
Stéphane : Looking, c’est un peu la série anti-drama. Elle ne
cherche pas à faire dans le spectaculaire. Mais ne confondons pas le rythme et
l’intérêt : qui dit lent ne dit pas ennuyeux.
Arthur : J’aurais cependant préféré qu’ils passent moins de temps à
déambuler dans San Francisco : là encore, je trouve qu’il y a un fossé entre
l’idée de recréer des scènes du quotidien, un langage et des attitudes
authentiques, et celle d’un monde idéal où les personnages n’ont rien d’autres
à faire que de flâner ensemble pour papoter, comme si la vie n’était faite que
de temps libre.
Stéphane : Moi je les trouve quand même bien occupés ces personnages
entre les matchs de rugby, les fêtes et les déménagements... Ils sont débordés,
ces garçons !