Après une promo assez mystérieuse
et des photos de tournage volées dévoilant l’intimité de son acteur principal, Taboo a enfin fait son apparition sur
les chaines anglo-saxonnes. Diffusée depuis début janvier sur BBC One au Royaume-Uni
et sur FX aux Etats-Unis, la mini-série produite, entre autres, par Ridley
Scott et Tom Hardy, confirme ce qu’elle laissait entrevoir : une série historique
de haute qualité graphique. Restait à savoir si le fond suivrait. A mi-saison,
je peux d’ores et déjà dire que Taboo
n’est pas qu’un bel objet ; c’est aussi un récit intrigant, prenant mais pas
forcément très haletant.
Taboo se déroule en 1814 au cœur de
Londres, dans une période qui oppose le Royaume-Uni, les Etats-Unis, et dans
une moindre mesure, la France sur les questions territoriales du continent Nord-Américain.
Suite au décès de son père, James Delaney, un homme qu’on croyait mort lors d’un
naufrage au large de l’Afrique, refait surface pour prendre possession de son
héritage ; parmi son legs, se trouve une bande de terre, la baie de Nookta
(actuellement l’île de Vancouver), que les autorités américaines et
britanniques aimeraient acquérir pour
faciliter le commerce vers l’Asie. La toute puissante East India Company (E.I.C.),
représentant les intérêts de la couronne britannique, pense pouvoir se mettre facilement
Delaney dans la poche. Mais celui-ci ne se laisse pas faire ; à l’image
des tatouages qui recouvrent son corps, l’homme est tourmenté, énigmatique, à
la limite de la folie. Et il transporte avec lui un bagage de souvenirs
visiblement douloureux, inavouables, tabous même, qui semblent guider ses décisions
mystérieuses.
Comme je le disais en
introduction, Taboo est une série magnifique
mais montre à voir un Londres qui l’est beaucoup moins. On est ici plus proche
de Dickens que de Jane Austen. Globalement, tout est sale, boueux, vétuste. Les
décors et la photographie obscure donnent un aspect crasseux mais réaliste au
récit. Tout parait moisir et sentir mauvais dans cette société britannique, y
compris dans les hautes sphères de ses salons royaux. Les comédiens secondaires
eux-mêmes ont tous des tronches incroyables qui semblent sortir tout droit des Misérables. Par ailleurs, qu’il s’agisse
des haillons du petit peuple, des toilettes des ladys londoniennes ou du
splendide ensemble manteau-chapeau du héros, les costumes, absolument
magnifiques et assez inédits, finissent de nous projeter dans cette époque que
l’on a finalement peu l’habitude de voir dépeinte à la télévision ou au cinéma,
surtout de ce côté de l’Atlantique. La réalisation soignée, maitrisée, est
impeccable ; jamais prétentieuse, toujours proche de ses personnages, elle
ne cherche pas à en faire des tonnes avec des effets de manche gratuits. Au
contraire, elle semble vouloir se faire oublier pour servir ses personnages et
son récit.
Et puis évidemment, il y a les
comédiens. Enfin surtout LE comédien. Tom Hardy est de toutes les scènes, de
tous les plans ; ultra-charismatique dans ce rôle taillé sur mesure, il
joue le déséquilibré, quasi-possédé, à la perfection. Beau comme jamais, animal
comme souvent, Hardy fait du Hardy mais il le fait magnifiquement bien. Concentrant
sur lui seul tous les mystères de la série (d’où vient-il ? que veut-il ?
qu’a-t-il fait dans son passé ?), il porte le récit sur ses épaules.
Souvent incompréhensible dans ses réactions, le personnage reste pourtant absolument
fascinant parce qu’il inquiète. Et Tom Hardy incarne parfaitement cette ambiguïté
morale.
A ses côtés, les autres comédiens
ont un peu du mal à tenir la comparaison. Interprétant la demi-sœur de Delaney,
Oona Chaplin, d’habitude radieuse, parait presque jouer en demi-teinte.
Espérons qu’au fil des révélations, son personnage prendra de l’ampleur. Et
compte-tenu des relations visiblement peu recommandables qui lient les deux
personnages, on ne devrait pas être déçu de ce côté-là. Mention spéciale à
Jonathan Pryce, tout aussi crédible en moineau de Game of Thrones qu’en gérant de l’E.IC. et à Mark Gatiss (le
Mycroft de Sherlock) qui offre une
interprétation répugnante mais ô combien convaincante du prince régent.
Finalement, le reproche qu’on
pourrait faire à Taboo serait de
vouloir faire passer la forme au-dessus du fond. Mais c’est faux. Ou du moins
en partie. Oui, Taboo est avant tout
une série belle à regarder, mais son récit n’en est pas moins ennuyeux. Pas
aussi haletant ou épique que d’autres séries historiques, le scénario est pourtant
bien ficelé et bien amené. Les auteurs ont surtout sublimé l’art de retenir
leurs effets : ils en disent assez pour qu’on soit captivé et qu’on ait
envie d’en savoir plus sur les secrets de Delanay, mais ils n’en disent pas trop
pour ne pas perdre de vue le réalisme recherché. En gros, pas de grands
cliffhangers (quoique), par d’énormes surprises toutes les sept minutes, mais
un mystère qui n’en finit pas de gonfler autour du personnage de Tom Hardy. On
veut savoir qui il est et c’est ça qui nous fait revenir d’un épisode à l’autre.
Et puis, il faut ajouter qu’on accepte aussi cette narration lente d’autant
plus facilement que l’on sait que la saison ne comptera que huit épisodes.
Il n’empêche, au milieu de cette
histoire d’héritage, de Nouveau Monde et de routes commerciales, la série
réussit à glisser quelques messages qui paraissent sacrément modernes. Le
prince régent est un homme particulièrement détestable, imbu de lui-même, qui
préfère servir ses intérêts personnels plutôt que ceux de son pays et ce, sans
craindre d’aller à l’encontre des lois. Toute ressemblance avec un président
récemment élu est évidemment parfaitement fortuite (y compris au niveau de la
couleur du fond de teint !).
Par ailleurs, on peut faire de la
série une lecture anti-capitaliste : l’E.I.C. qui contrôle l’économie
britannique (et donc mondiale) est perçue comme le grand monstre à abattre. Et
Delaney, dans sa volonté folle de s’opposer à Goliath, rappelle de nouveaux
acteurs économiques qui tentent de proposer une alternative plus équitable,
plus juste face aux dérives du marché financier actuel. En bref, Taboo n’est pas que le joli objet futile
qu’on pourrait dépeindre.
Sans être la série de l’année, Taboo est une série absolument
magnifique à regarder. Captivante, elle doit beaucoup à son interprète
principal et au personnage qu’il incarne. Sans trop savoir où on va, on se
laisse emporter par cet homme fou mais idéaliste, animal mais magnétique, ni
vertueux, ni vicieux. Car plus que tout, on veut savoir. On veut découvrir les
secrets inavouables de ce revenant que le titre de la série nous promet. Et
pour ça, on ira jusqu’au bout des huit épisodes.
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