mardi 31 janvier 2017

Très beau Taboo



Après une promo assez mystérieuse et des photos de tournage volées dévoilant l’intimité de son acteur principal, Taboo a enfin fait son apparition sur les chaines anglo-saxonnes. Diffusée depuis début janvier sur BBC One au Royaume-Uni et sur FX aux Etats-Unis, la mini-série produite, entre autres, par Ridley Scott et Tom Hardy, confirme ce qu’elle laissait entrevoir : une série historique de haute qualité graphique. Restait à savoir si le fond suivrait. A mi-saison, je peux d’ores et déjà dire que Taboo n’est pas qu’un bel objet ; c’est aussi un récit intrigant, prenant mais pas forcément très haletant.

Taboo se déroule en 1814 au cœur de Londres, dans une période qui oppose le Royaume-Uni, les Etats-Unis, et dans une moindre mesure, la France sur les questions territoriales du continent Nord-Américain. Suite au décès de son père, James Delaney, un homme qu’on croyait mort lors d’un naufrage au large de l’Afrique, refait surface pour prendre possession de son héritage ; parmi son legs, se trouve une bande de terre, la baie de Nookta (actuellement l’île de Vancouver), que les autorités américaines et britanniques  aimeraient acquérir pour faciliter le commerce vers l’Asie. La toute puissante East India Company (E.I.C.), représentant les intérêts de la couronne britannique, pense pouvoir se mettre facilement Delaney dans la poche. Mais celui-ci ne se laisse pas faire ; à l’image des tatouages qui recouvrent son corps, l’homme est tourmenté, énigmatique, à la limite de la folie. Et il transporte avec lui un bagage de souvenirs visiblement douloureux, inavouables, tabous même, qui semblent guider ses décisions mystérieuses. 



Comme je le disais en introduction, Taboo est une série magnifique mais montre à voir un Londres qui l’est beaucoup moins. On est ici plus proche de Dickens que de Jane Austen. Globalement, tout est sale, boueux, vétuste. Les décors et la photographie obscure donnent un aspect crasseux mais réaliste au récit. Tout parait moisir et sentir mauvais dans cette société britannique, y compris dans les hautes sphères de ses salons royaux. Les comédiens secondaires eux-mêmes ont tous des tronches incroyables qui semblent sortir tout droit des Misérables. Par ailleurs, qu’il s’agisse des haillons du petit peuple, des toilettes des ladys londoniennes ou du splendide ensemble manteau-chapeau du héros, les costumes, absolument magnifiques et assez inédits, finissent de nous projeter dans cette époque que l’on a finalement peu l’habitude de voir dépeinte à la télévision ou au cinéma, surtout de ce côté de l’Atlantique. La réalisation soignée, maitrisée, est impeccable ; jamais prétentieuse, toujours proche de ses personnages, elle ne cherche pas à en faire des tonnes avec des effets de manche gratuits. Au contraire, elle semble vouloir se faire oublier pour servir ses personnages et son récit.
Et puis évidemment, il y a les comédiens. Enfin surtout LE comédien. Tom Hardy est de toutes les scènes, de tous les plans ; ultra-charismatique dans ce rôle taillé sur mesure, il joue le déséquilibré, quasi-possédé, à la perfection. Beau comme jamais, animal comme souvent, Hardy fait du Hardy mais il le fait magnifiquement bien. Concentrant sur lui seul tous les mystères de la série (d’où vient-il ? que veut-il ? qu’a-t-il fait dans son passé ?), il porte le récit sur ses épaules. Souvent incompréhensible dans ses réactions, le personnage reste pourtant absolument fascinant parce qu’il inquiète. Et Tom Hardy incarne parfaitement cette ambiguïté morale.
A ses côtés, les autres comédiens ont un peu du mal à tenir la comparaison. Interprétant la demi-sœur de Delaney, Oona Chaplin, d’habitude radieuse, parait presque jouer en demi-teinte. Espérons qu’au fil des révélations, son personnage prendra de l’ampleur. Et compte-tenu des relations visiblement peu recommandables qui lient les deux personnages, on ne devrait pas être déçu de ce côté-là. Mention spéciale à Jonathan Pryce, tout aussi crédible en moineau de Game of Thrones qu’en gérant de l’E.IC. et à Mark Gatiss (le Mycroft de Sherlock) qui offre une interprétation répugnante mais ô combien convaincante du prince régent.

Finalement, le reproche qu’on pourrait faire à Taboo serait de vouloir faire passer la forme au-dessus du fond. Mais c’est faux. Ou du moins en partie. Oui, Taboo est avant tout une série belle à regarder, mais son récit n’en est pas moins ennuyeux. Pas aussi haletant ou épique que d’autres séries historiques, le scénario est pourtant bien ficelé et bien amené. Les auteurs ont surtout sublimé l’art de retenir leurs effets : ils en disent assez pour qu’on soit captivé et qu’on ait envie d’en savoir plus sur les secrets de Delanay, mais ils n’en disent pas trop pour ne pas perdre de vue le réalisme recherché. En gros, pas de grands cliffhangers (quoique), par d’énormes surprises toutes les sept minutes, mais un mystère qui n’en finit pas de gonfler autour du personnage de Tom Hardy. On veut savoir qui il est et c’est ça qui nous fait revenir d’un épisode à l’autre. Et puis, il faut ajouter qu’on accepte aussi cette narration lente d’autant plus facilement que l’on sait que la saison ne comptera que huit épisodes.
Il n’empêche, au milieu de cette histoire d’héritage, de Nouveau Monde et de routes commerciales, la série réussit à glisser quelques messages qui paraissent sacrément modernes. Le prince régent est un homme particulièrement détestable, imbu de lui-même, qui préfère servir ses intérêts personnels plutôt que ceux de son pays et ce, sans craindre d’aller à l’encontre des lois. Toute ressemblance avec un président récemment élu est évidemment parfaitement fortuite (y compris au niveau de la couleur du fond de teint !).
Par ailleurs, on peut faire de la série une lecture anti-capitaliste : l’E.I.C. qui contrôle l’économie britannique (et donc mondiale) est perçue comme le grand monstre à abattre. Et Delaney, dans sa volonté folle de s’opposer à Goliath, rappelle de nouveaux acteurs économiques qui tentent de proposer une alternative plus équitable, plus juste face aux dérives du marché financier actuel. En bref, Taboo n’est pas que le joli objet futile qu’on pourrait dépeindre.

Sans être la série de l’année, Taboo est une série absolument magnifique à regarder. Captivante, elle doit beaucoup à son interprète principal et au personnage qu’il incarne. Sans trop savoir où on va, on se laisse emporter par cet homme fou mais idéaliste, animal mais magnétique, ni vertueux, ni vicieux. Car plus que tout, on veut savoir. On veut découvrir les secrets inavouables de ce revenant que le titre de la série nous promet. Et pour ça, on ira jusqu’au bout des huit épisodes.


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