Le mois dernier, dans mon papier sur la première saison de True
Detective, j’ai mentionné l’incroyable plan séquence de l’épisode 4. Celui
dont tout le monde a parlé dans des termes dithyrambiques, à juste titre
d’ailleurs. Du coup, je me suis penché sur cet exercice de style bien
particulier. Pour rappel, le "plan-séquence est une scène (unité de lieu
et de temps) filmée en un seul plan qui est restituée telle quelle dans le
film, c'est-à-dire sans montage", dixit Wikipédia. Très utilisé au cinéma,
le plan-séquence n’est pas pour autant délaissé dans les séries télé. Petite
sélection de celles qui ont intégré à leur récit ce qui reste à chaque fois une
belle prouesse technique.
Les séries qui en ont fait leur marque
de fabrique
The West Wing : La série d’Aaron Sorkin pourrait se résumer ainsi :
"ça parle de gens qui parlent beaucoup de politique dans des
bureaux". Sur le papier, ça n’est donc pas le pitch le plus
enthousiasmant du monde, visuellement parlant. Alors les réalisateurs de la
série ont mis une technique en place pour dynamiser le tout. Les personnages de
la Maison Blanche sont des gens très occupés, qui passent sans cesse d’un
rendez-vous à l’autre ; les seuls moments où ils peuvent réellement
échanger sont les quelques minutes qui séparent leurs meetings, point-presse et
autres entretiens. Et c’est donc ces instants précis qu’ils choisissent pour
communiquer. Et pour ne pas perdre de temps, ils discutent en marchant. Et ils
discutent beaucoup. Et donc ils marchent beaucoup. C’est le fameux Walk and Talk de The West Wing qui voit les caméras suivre sans s’arrêter les personnages
qui se perdent pendant de longues minutes dans les couloirs de la Maison
Blanche. Ou comme ici, dans les couloirs d’un hôtel :
La plupart des épisodes de la série sont donc truffés de
plan-séquences pas forcément spectaculaires mais indispensables pour resserrer
la rythme des épisodes. Un sketch parodique a même été réalisé à ce sujet (la
qualité est toute pourrie mais ceux qui connaissent la série apprécieront).
Urgences : Michael Crichton avait pour ambition de monter une
série médicale réaliste où le jargon technique et les gestes pratiqués sur les
patients seraient fidèles à la réalité. Une fois les responsables de NBC convaincus
que cela ne ferait pas fuir les spectateurs, on a vu une déferlante de NFS,
Chimie, Iono et autres radios du thorax envahir les écrans. Pour renforcer cet
effet de réalisme, les réalisateurs de la série ont souvent eu recours au plan
séquence, tant et si bien que c’en est devenu une marque de fabrique de la
série. Puisqu’il n’y a pas de coupure caméra, la valse des médecins et
infirmières qui travaillent autour des patients parait plus réelle : ça
fait vrai. Inconsciemment la tension est renforcée dans la tête du spectateur.
Autre avantage du plan séquence : en se promenant dans
les couloirs et en passant d’une chambre à l’autre, il permet de raconter
plusieurs histoires en parallèles. Urgences
étant réputée pour être une série multipliant les storylines (jusqu’à 6 ou 7
dans le même épisode), les plans séquences faisaient avancer plusieurs récit de
front, avec parfois seulement quelques répliques captées au hasard des
couloirs.
Les séries qui en ont fait un exercice
de style le temps d’un épisode
New York 911 (saison 5 épisode 11) : Petite sœur d’Urgences, également produite par John
Wells, New York 911 est une grande
série injustement sous-estimée en France sur les services de secours new
yorkais. A l’occasion du centième épisode de la série diffusé en janvier 2004,
les auteurs se sont lancé un défi de poids : raconter une seule histoire,
basée sur des faits réels vécus par l’un des policiers consultants de la série,
sans jamais couper la caméra en dehors des interruptions publicitaires
incontournables. L’épisode est donc constitué de cinq plans absolument magistraux.
Là encore, le réalisme de la série s’en retrouve augmenté et l’histoire assez
banale qui nous est présentée propose une tension dramatique jamais vue jusque-là.
Il s’agit sans conteste de l’un des meilleurs épisodes de la série.
(si la vidéo n'est pas visible, l'épisode est disponible ici)
(si la vidéo n'est pas visible, l'épisode est disponible ici)
Dans la
vidéo ci-dessus, hormis un premier plan de 45 secondes servant à introduire l’histoire,
les deux autres plans (l’un de 3 minutes "seulement" et l’autre de 9 minutes)
permettent de se rendre compte de la complexité que posent de tels plans :
dans le plan de 3 minutes, la caméra vole littéralement autour de la voiture
des flics pour finalement s’arrêter sur le suspect de l’épisode ; dans le plan
de 9 minutes, c’est tout un quartier qui est bloqué pour les besoins de la
série et des personnages qui n’arrêtent pas de marcher d’un bout à l’autre de
la rue. Belle performance de comédiens et d’équipe technique.
X-Files (saison 6 épisode 3) : 6 ans avant New York 911, X-Files réalisait exactement le même exploit dans un épisode un peu
particulier, intitulé "Triangle". Perdu au milieu du mystérieux
Triangle des Bermudes, Mulder se retrouve propulsé dans le passé, sur un bateau
nazi de 1939. Scully, elle, toujours en 1998 tente de porter secours à son
partenaire. Personnellement, je ne suis pas fan de l’histoire racontée ici (ce
qui n’est pas le cas de la majorité des fans de la série), mais techniquement,
je dois admettre que c’est une fois de plus magistral. D’abord l’épisode commence
par deux plans séquences de 12 et 10 minutes. Même s’ils sont probablement coupés
à certains moments en profitant d’un personnage qui passe devant la caméra, ça
reste très spectaculaire. Mais en plus de cela -comme si ça ne suffisait pas- dans
la dernière partie de l’épisode, les plans séquence, plus courts, sont associés
à un split screen (technique très
utilisée dans 24 et qui montre
plusieurs actions se déroulant en même temps). Ainsi les deux réalités, celle
de 1939 et celle de 1998, sont visibles à l’écran et interagissent même parfois
l’une avec l’autre ! J’avoue, dit comme ça, c’est pas simple à comprendre
mais en allant sur la page Wiki de cet épisode, vous pourrez voir un extrait
plus explicite. Performance incroyable, épisode magistral dans sa réalisation,
même s’il reste bien barré dans ce qu’il raconte.
Le cas True Detective
Comme je le disais le mois dernier, on a beaucoup entendu
parler du plan séquence de 6 minutes qui vient clôturer l’épisode 4 de la série.
Et il faut bien admettre que c’est un chef d’œuvre. Même si le plan est moins
long que ceux de X-Files ou New York 911, il est bien plus complexe.
Et pour plusieurs raisons.
D’abord, il se déroule la nuit dans des intérieurs et des
extérieurs. Eclairer ces différents décors représente donc déjà un bel exploit.
Ensuite une partie du plan se déroule dans une petite maison :
difficile de comprendre comment l’équipe technique (et notamment les preneurs
son) a pu se débrouiller pour évoluer dans un espace aussi étriqué.
Autre complexité de la scène : les effets spéciaux de
plateau, c’est-à-dire les effets pyrotechniques (coups de feu, explosion…) et
les effets de maquillage (traces de sang), sont nombreux et remarquablement
gérés.
Par ailleurs, le nombre incroyable de figurants et de
véhicules (incluant un hélicoptère !) évoluant dans la scène implique une
chorégraphie soignée aux petits oignons pour ne pas tout faire rater.
Et enfin, comme si ça ne suffisait pas, à la fin du plan, la
caméra passe au-dessus d’une clôture. Dit comme ça, ça a l’air de rien, mais il
faut bien imaginer qu’il a fallu en plus installer une grue pour que le
cameraman qui se galope depuis le début de la scène puisse suivre les comédiens
de l’autre côté du grillage. Pourquoi faire simple quand on peut faire
compliqué ?
Là encore, comme pour X-Files, on peut imaginer que le plan
a été réalisé en deux parties : lorsque la caméra monte au ciel pour filmer
l’hélico, on peut imaginer qu’il s’agit là d’un moyen d’interrompre la scène.
Qu’importe, même avec cette coupure, cette séquence reste anthologique.
Ainsi donc, cet exercice de style du plan séquence marque.
En tout cas, personnellement, j’en suis très friand. Et même si l’émerveillement
que j’ai pour la technique m’empêche parfois de complètement m’immerger dans le
récit, je ne suis jamais déçu. J’admire le travail considérable que ça engrange
et ça donne furieusement envie de se balader sur les plateaux ces jours-là !
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