Il y a une semaine,
lors de la cérémonie des Emmy Awards (les Oscars de la télévision américaine),
Jeffrey Tambor a reçu le prix du meilleur acteur principal dans une comédie
pour son rôle de Maura dans la série Transparent,
développée par Amazon. Le comédien avait déjà été récompensé en janvier dernier
lors des derniers Golden Globes, cérémonie qui avait également décerné le prix
de la meilleure comédie à la série. Mais comme je suis parfois un peu long à la
détente, je n’avais toujours pas pris le temps de regarder ce que tout le monde
présentait comme un chef d’œuvre. Or, avec cet Emmy, tous les Internets ont
réitéré leur amour pour Transparent.
J’ai donc voulu rattraper mon retard avant la grande rentrée sérielle et je me
suis avalé les 10 épisodes de la 1ère saison en quelques jours.
Bilan : gros gros coup de cœur.
Transparent, comme son nom l’indique, raconte
l’histoire de Mort, sexagénaire divorcé père de trois enfants, qui décide de
révéler à ses proches sa véritable identité de femme. Commence alors pour elle
une transition au sein d’une famille juive de Los Angeles dans laquelle chaque
membre se débat déjà comme il peut pour donner un sens à sa vie.
Amis de la Manif Pour
Tous et de Christine Boutin, passez votre chemin : vous risqueriez d’être
un peu perdus dans cette famille Pfefferman. On est bien loin de la vision classique
de papa-maman-et-leurs-deux-enfants. Au contraire, Transparent célèbre la famille dans ses formes les plus diverses et
les plus originales et les situations des uns y sont toutes plus barrées que
celles des autres.
Mort, le père,
choisit donc de se faire appeler Maura. Shelly, la mère un poil surexcitée vit
avec un homme devenu sénile. Sarah, l’ainée, mariée à un homme et maman de deux
enfants, se retrouve chamboulée par le retour dans sa vie d’une ex-amante.
Josh, le second, enchaine les conquêtes féminines, tombe amoureux tous les
trois matins et tente tant bien que mal de revivre l’amour qu’il a vécu à 15
ans avec la jeune fille au pair de l’époque, de 10 ans son ainée. Enfin, Ali,
la petite dernière, peine à se construire une identité, tant sur le plan
professionnel que personnel.
C’est bien là la
grande force de la série que de nous faire oublier un temps un schéma d’Epinal
pour nous faire entrer peu à peu dans celui, bien plus complexe mais tout aussi
riche, d’une famille où chacun choisit d’être lui-même, malgré les conventions
et les pressions sociales. Et pourtant, en dépit des situations parfois un peu
rocambolesques, la série de Jill Soloway (qui y raconte un peu sa vie) ne juge
jamais aucun de ses personnages. Il se dégage de la série un profond sentiment
de respect, de tolérance et d’ouverture à l’autre.
C’est d’ailleurs
presque la situation de Maura qui semble la moins problématique dans la série.
Certes, ça soulève des questions, ça perturbe l’entourage mais finalement, ça
ne choque pas grand monde. C’est tout juste si cela pose un problème à Josh qui
semble d’abord un peu perplexe d’être le seul homme de la famille. En dehors de
cela, les principales difficultés ne viennent pas des Pfefferman mais du monde extérieur,
moins enclin à accepter l’identité de Maura en particulier et des trans en
général. La série donne un bel éclairage sur cette minorité peu connue et
répond intelligemment à de nombreuses questions : peut-on continuer à dire
"papa" ? quel pronom doit-on utiliser ? quel impact cela a
sur la sexualité ? quelle différence existe-t-il avec les travestis ?
Des interrogations bien légitimes, toujours respectueuses et pour une fois
dirigées vers autre chose que la transformation physique et/ou chirurgicale de
ces personnes.
Les autres membres de
la famille paraissent presque plus perdus à côté de Maura. Elle est la seule à
avoir choisie d’assumer pleinement son identité. Les autres pataugent encore.
Mais malgré leurs nombreuses hésitations, leurs choix maladroits et leurs
erreurs régulières, ils sont tous traités avec le même égard que Maura :
encore une fois, la série a la grande intelligence de ne jamais juger. On a
beau se retrouver dans des histoires parfois totalement inédites, le respect
pour les personnages est tel qu’on accepte à peu près tout d’eux. Transparent est une ode à la tolérance
qui donne à voir des points de vue souvent inédits sur la famille, la sexualité
ou la religion.
Transparent a beau
avoir gagné le Golden Globe de la meilleure comédie, on ne rit pas toutes les
trois secondes. Loin de là. Pour moi, Transparent
n’a de comédie que son format de 30 minutes. Il se dégage de cette série une mélancolie
certaine, une douceur cotonneuse. La magnifique musique de Vincent Jones (une
pure merveille, vraiment) et la photographie douçâtre et bleutée y sont pour
beaucoup. Tout comme le générique, un magnifique bijou qui, en quelques
secondes, parvient à nous replonger dans nos souvenirs familiaux.
Proche du cinéma
indépendant américain, Transparent ne
cherche pas à choquer, à provoquer ou à se moquer : elle cherche avant
tout à sensibiliser, à émouvoir, à faire grandir le spectateur.
Dans la lignée d’un United States of Tara, autre comédie
indé qui s’amusait à réinventer la famille américaine, Transparent est un petit bijou d’écriture, de réalisation et de jeu
(ah ces comédiens, tous parfaits !) qui sous prétexte de parler –
intelligemment – des transgenres en vient à nous parler de la famille et de la
force qui peut s’en dégager, si tant est qu’on soit prêt à se mettre dans les
souliers de son prochain. Un vrai bijou qui vient confirmer que le palmarès des
Emmys 2015 est un excellent cru. Il va donc falloir que je me rattrape très
vite avec Veep.