Sept ans après la fin de la série et alors qu’une version
remastérisée est sur le point d’être disponible en Blu-Ray, je viens à mon tour
de terminer ce chef d’œuvre incontournable qu’est The Wire. On m’avait prévenu que ça serait du très très haut
niveau. On ne m’avait pas menti : la série compte assurément parmi les
meilleures du monde. Je ne vais faire que répéter ce qui a été dit partout mais
en effet, on a rarement vu de séries aussi bien écrites. Réaliste, complexe,
déprimante, The Wire dresse un
portrait pessimiste de la ville de Baltimore, de ses bas quartiers gangrénés
par le traffic de drogue à sa mairie rongée par les luttes du pouvoir, en
passant par ses docks étouffés par le chômage, ses écoles impuissantes et ses
medias menteurs et racoleurs.
The Wire n’est pas une série qui détend. Et quiconque a vu la saison
4 (la meilleure) sait de quoi je parle. La société dépeinte par David Simon va mal et la loi
de la jungle est globalement celle qui y fonctionne le mieux. Et pourtant, dans
ce marasme social qui nous est présenté, les scénaristes réussissent la
prouesse de nous présenter une galerie impressionnante de personnages subtils,
attachants, cools. Voilà les cinq qui vont véritablement me manquer.
(Attention, SPOILERS)
(Attention, SPOILERS)
Chez les flics, Lester Freamon : Jimmy McNulty est communément présenté à tort comme le
personnage principal de la série. S’il est en effet la porte d’entrée du
spectateur dans le monde complexe de la série, il n’est pas à mon sens le
personnage le plus intéressant parmi tous les rôles de flics décrits ici. Ma
préférence irait donc plutôt vers le doyen du groupe, Lester. Cousin pas si
éloigné de Morgan ‘Summerset’ Freeman dans Seven,
Freamon est un vieux loup de mer à qui on ne la fait plus. Il connait très
bien son métier de détective mais il connait encore mieux les limites du
système. Il n’a pas peur de se salir les mains et de faire les choses de façon
pas toujours très réglo tant qu’il obtient des résultats. Son âge et son
expérience lui ont fait renoncer à gravir les échelons. Lester Freamon est un
flic de terrain, un vrai. Un de ceux qui font marcher leur cerveau avant leur
flingue. Son charisme, son calme olympien et sa passion du modélisme en font
l’un des personnages les plus emblématiques de la série.
Chez les toxicos, Reginald ‘Bubbs’ Cousins : assez peu représentés au court des cinq saisons, les toxicos
sont pourtant les premières victimes consentantes des réseaux de drogue que la
police de Baltimore tente de démanteler. Parmi eux, Bubbs est le seul qu’on
suivra d’un bout à l’autre de la série. Quand on le découvre, Bubbs est déjà
tombé bien bas. Sans être un mauvais bougre, il fait ce qu’il peut pour obtenir
sa dose régulière, y compris devenir indic pour les flics. Mais son addiction
le rend faible, vulnérable. Et comme il a bon fond, on a tôt fait de profiter
de lui. On assiste ainsi à sa longue chute ; toujours plus bas, toujours
plus misérable, Bubbs survit plus qu’il ne vit. L’énorme particularité de ce
personnage, c’est qu’il fait partie des (trop) rares personnages de la série à
s’en sortir. Au plus bas en fin de saison 4, la dernière saison sera celle de
la rédemption. Et avec elle, celle de scènes particulièrement émouvantes.
Chez les dealers des rues, Preston ‘Bodie’ Broadus: à la différence du groupe précédent, la série a vu défiler
un grand nombre de gamins pour distribuer la dope à chaque coin de rue de
Baltimore. Il faut dire ce qui est, l’espérance de vie pour ces garçons n’est
pas bien élevée, surtout qu’on n’a évidemment pas toujours affaire à des
lumières dans un milieu qui, mine de rien, demande d’être sacrément intelligent
pour survivre. L’un d’entre eux ressort du lot. Fidèle lieutenant du clan
Barksdale dans les premières saisons, Bodie obéit. Il fait ce qu’on lui dit de
faire et il le fait bien. Sans aller jusqu’à dire qu’il a une moralité
irréprochable, Bodie a un grand sens de la loyauté. Il sait à qu’il doit d’être
en vie et de gagner sa vie. Pas question de balancer, de trahir ou de se
rebeller. Pas naïf pour autant, Bodie connait les limites du système. Il n’a
juste pas les armes pour les combattre. Au mieux, il crache pour montrer son
désaccord. Mais malgré tout, il reste loyal. Or dans les rues de Baltimore, la
loyauté n’a pas grande valeur. Et malgré son respect de la hiérarchie, le changement
de patron lors de la saison 4 va sceller son destin. Pire, l’étonnant respect mutuel
qu’il a mis en place entre lui et la police lui coutera finalement la vie. Sans
conteste la mort la plus triste de la série selon moi.
Chez les trafiquants, Russel ‘Stringer’ Bell : il fallait bien le charisme d’Idris Elba pour incarner avec
autant de puissance le personnage du (fidèle ?) lieutenant d’Avon
Barksdale, l’ennemi public numéro 1 des premières saisons. Intelligent, calme
mais autoritaire et intransigeant, Stringer Bell tire les ficelles dans l’ombre
tout en laissant à son pote Avon le loisir de penser qu’il n’est que numéro 2.
Pourtant c’est bien Stringer qui prend les rênes du business lorsque la
majorité du clan est mise au trou. Et c’est lui qui tente de donner une autre
dimension au trafic en impliquant les politiques à ses combines, avec plus ou
moins de succès. Mais le défaut premier de Stringer Bell, c’est la folie des grandeurs.
Voulant être calife à la place du calife, il n’a pas su s’arrêter à temps. Et
ça lui est naturellement fatal. Si la mort de Bodie est la plus touchante,
celle de Stringer Bell est la plus choquante : elle arrive en fin de saison
3, de façon assez inattendue. Et le spectateur lambda de se demander comment la
série va pouvoir perdurer sans l’un de ses piliers porteurs.
Et Omar Little :
personnage hors norme, inclassable, génial. Bandit solitaire, Omar suit un code
très précis : il ne vole qu’aux bad guys, il ne tue jamais le dimanche, il
ne s’en prend pas à la famille de ses ennemis. Sauf si on attaque ses protégés.
Et ils sont peu nombreux. Faut dire qu’il n’est pas facile de s’intégrer dans
cette société hyper violente, hyper machiste quand on est homosexuel. Alors
Omar vit reclus, avec son mec et quelques rares amis ; il ne sort dans les
rues que lorsque c’est réellement nécessaire à sa survie. Tireur implacable, braqueur
de génie, Omar fait fuir tout le monde. Les gamins rêvent de copier son look quasi-iconique
avec sa cicatrice, sa gabardine et son fusil à pompe. Ses ennemis osent tout
juste se moquer de son orientation sexuelle tellement sa réputation fait peur.
Mais finalement, Omar reste très seul. Et ça n’est jamais très bon dans bas
quartiers de Baltimore : Omar finit plus bas que tout, oublié de tous. Son
meurtrier est un môme de huit ans. Sa mort ne mérite même pas un encart dans le
journal local. Tragique fin pour ce véritable Ronin des temps modernes.
Voilà donc, pour moi, les cinq personnages
incontournables de The Wire. J’aurais pu y rajouter Ellis Carver, bogosse incroyablement touchant en saison 4 quand il tente
de sortir un gamin des rues, Kima Greggs, la flic plus tough que ses homologues masculins, ou encore Pryzbylewski,
ce loser bien moins raté qu’il n’y parait. J’aurais encore pu citer Bunk et ses
cigares légendaires, Snoop et son accent improbable, Michael et son p’tit frère
Bug ou Clay Davis et ses « Shiiiiit » interminables. J’aurais pu les
citer tous, un par un, tellement chaque personnage de la série est
magnifiquement écrit et interprété.
C’est le génie de The Wire :
une galerie immense de personnages qui se croisent, s’entrechoquent et
interagissent avec tous, sans même le savoir. Un engrenage terrifiant, une machine
parfaitement huilée, imperturbable, qui broie un certain nombre d’éléments sur
son passage. Un chef d‘œuvre Dickensien.
PS: en bonus, mon
classement des saisons (toutes vraiment très très réussies): 4, 3, 1, 5,
2.