mardi 29 septembre 2015

Transparent: transcendant !

Il y a une semaine, lors de la cérémonie des Emmy Awards (les Oscars de la télévision américaine), Jeffrey Tambor a reçu le prix du meilleur acteur principal dans une comédie pour son rôle de Maura dans la série Transparent, développée par Amazon. Le comédien avait déjà été récompensé en janvier dernier lors des derniers Golden Globes, cérémonie qui avait également décerné le prix de la meilleure comédie à la série. Mais comme je suis parfois un peu long à la détente, je n’avais toujours pas pris le temps de regarder ce que tout le monde présentait comme un chef d’œuvre. Or, avec cet Emmy, tous les Internets ont réitéré leur amour pour Transparent. J’ai donc voulu rattraper mon retard avant la grande rentrée sérielle et je me suis avalé les 10 épisodes de la 1ère saison en quelques jours. Bilan : gros gros coup de cœur.

Transparent, comme son nom l’indique, raconte l’histoire de Mort, sexagénaire divorcé père de trois enfants, qui décide de révéler à ses proches sa véritable identité de femme. Commence alors pour elle une transition au sein d’une famille juive de Los Angeles dans laquelle chaque membre se débat déjà comme il peut pour donner un sens à sa vie.



Amis de la Manif Pour Tous et de Christine Boutin, passez votre chemin : vous risqueriez d’être un peu perdus dans cette famille Pfefferman. On est bien loin de la vision classique de papa-maman-et-leurs-deux-enfants. Au contraire, Transparent célèbre la famille dans ses formes les plus diverses et les plus originales et les situations des uns y sont toutes plus barrées que celles des autres.
Mort, le père, choisit donc de se faire appeler Maura. Shelly, la mère un poil surexcitée vit avec un homme devenu sénile. Sarah, l’ainée, mariée à un homme et maman de deux enfants, se retrouve chamboulée par le retour dans sa vie d’une ex-amante. Josh, le second, enchaine les conquêtes féminines, tombe amoureux tous les trois matins et tente tant bien que mal de revivre l’amour qu’il a vécu à 15 ans avec la jeune fille au pair de l’époque, de 10 ans son ainée. Enfin, Ali, la petite dernière, peine à se construire une identité, tant sur le plan professionnel que personnel.
C’est bien là la grande force de la série que de nous faire oublier un temps un schéma d’Epinal pour nous faire entrer peu à peu dans celui, bien plus complexe mais tout aussi riche, d’une famille où chacun choisit d’être lui-même, malgré les conventions et les pressions sociales. Et pourtant, en dépit des situations parfois un peu rocambolesques, la série de Jill Soloway (qui y raconte un peu sa vie) ne juge jamais aucun de ses personnages. Il se dégage de la série un profond sentiment de respect, de tolérance et d’ouverture à l’autre.

C’est d’ailleurs presque la situation de Maura qui semble la moins problématique dans la série. Certes, ça soulève des questions, ça perturbe l’entourage mais finalement, ça ne choque pas grand monde. C’est tout juste si cela pose un problème à Josh qui semble d’abord un peu perplexe d’être le seul homme de la famille. En dehors de cela, les principales difficultés ne viennent pas des Pfefferman mais du monde extérieur, moins enclin à accepter l’identité de Maura en particulier et des trans en général. La série donne un bel éclairage sur cette minorité peu connue et répond intelligemment à de nombreuses questions : peut-on continuer à dire "papa" ? quel pronom doit-on utiliser ? quel impact cela a sur la sexualité ? quelle différence existe-t-il avec les travestis ? Des interrogations bien légitimes, toujours respectueuses et pour une fois dirigées vers autre chose que la transformation physique et/ou chirurgicale de ces personnes.

Les autres membres de la famille paraissent presque plus perdus à côté de Maura. Elle est la seule à avoir choisie d’assumer pleinement son identité. Les autres pataugent encore. Mais malgré leurs nombreuses hésitations, leurs choix maladroits et leurs erreurs régulières, ils sont tous traités avec le même égard que Maura : encore une fois, la série a la grande intelligence de ne jamais juger. On a beau se retrouver dans des histoires parfois totalement inédites, le respect pour les personnages est tel qu’on accepte à peu près tout d’eux. Transparent est une ode à la tolérance qui donne à voir des points de vue souvent inédits sur la famille, la sexualité ou la religion.
Transparent a beau avoir gagné le Golden Globe de la meilleure comédie, on ne rit pas toutes les trois secondes. Loin de là. Pour moi, Transparent n’a de comédie que son format de 30 minutes. Il se dégage de cette série une mélancolie certaine, une douceur cotonneuse. La magnifique musique de Vincent Jones (une pure merveille, vraiment) et la photographie douçâtre et bleutée y sont pour beaucoup. Tout comme le générique, un magnifique bijou qui, en quelques secondes, parvient à nous replonger dans nos souvenirs familiaux.
Proche du cinéma indépendant américain, Transparent ne cherche pas à choquer, à provoquer ou à se moquer : elle cherche avant tout à sensibiliser, à émouvoir, à faire grandir le spectateur.


Dans la lignée d’un United States of Tara, autre comédie indé qui s’amusait à réinventer la famille américaine, Transparent est un petit bijou d’écriture, de réalisation et de jeu (ah ces comédiens, tous parfaits !) qui sous prétexte de parler – intelligemment – des transgenres en vient à nous parler de la famille et de la force qui peut s’en dégager, si tant est qu’on soit prêt à se mettre dans les souliers de son prochain. Un vrai bijou qui vient confirmer que le palmarès des Emmys 2015 est un excellent cru. Il va donc falloir que je me rattrape très vite avec Veep.

vendredi 11 septembre 2015

Hannibal : les 5 ingrédients clés



Il y a deux semaines s’est achevée la troisième et dernière saison d’Hannibal, la série de Bryan Fuller centré autour du personnage du Dr Lecter, le psychopathe cannibale du Silence des Agneaux. Si les deux premières saisons étaient vraiment de haute qualité, la troisième me laisse une impression plus mitigée. Sa première partie du moins, pendant laquelle la série devient presque une caricature d’elle-même, avant de changer du tout au tout pour revenir à ce qu’elle était dans ses saisons originelles et raconter des évènements directement adaptés de Dragon Rouge (le prequel du Silence des Agneaux).
Sanglante, violente, lente, torturée, Hannibal n’est pas une série à mettre entre toutes les mains. Difficile de penser qu’elle a pu exister pendant trois ans sur un network américain comme NBC. Certes les audiences n’étaient pas bien brillantes, mais il faut tout de même reconnaitre à cette série un certain nombre de qualités qui lui a permis de revenir d’une année sur l’autre. J’en compte au moins cinq qui vont probablement me manquer.

 
Hugh Dancy (interprète de Will Graham) : contrairement à ce que le titre de la série veut bien nous laisser penser, Hannibal n’est pas le personnage principal de la série. Ou plutôt, il serait plus correct de dire qu’il partage l’affiche à parts égales avec celui de Will Graham, profileur de génie recruté par le FBI pour enquêter sur des affaires toutes plus sordides les unes que les autres.  Car Will a un don, une sorte de sixième sens qui lui permet de se mettre dans la peau des serial killers qu’il traque pour comprendre leur logique et prédire leurs agissements. Mais ce don affaiblit son esprit : plus il s’en sert, plus il sombre dans la folie, ayant chaque fois plus de mal à sortir indemne de cet état de transe.
Et c’est ce côté fragile, tourmenté, angoissé du personnage que Hugh Dancy interprète à merveille. Le comédien, absolument charmant et au moins aussi charismatique que son partenaire, transcende chaque scène dans laquelle il apparait avec un jeu pourtant sobre mais terriblement efficace. Sa voix tremblante, sa respiration saccadée, ses tremblements incontrôlés concourent à susciter une profonde empathie pour ce personnage ô combien perturbé, voire même aliéné.
M. Dancy, j’ai hâte de vous retrouver ailleurs (dans the Way, par exemple aux côtés du non moins génial Aaron Paul).

 
Mads Mikkelsen (interprète d’Hannibal Lecter) : l’exercice de succéder à l’une des meilleures interprétations (la meilleure ?) de psychopathe par l’un des plus grands comédiens du monde n’était pas chose aisée. Et pourtant, Mads Mikkelsen relève le défi haut la main. C’est peu surprenant quand on connait le charisme de ce comédien danois mais il n’en reste pas moins que c’est une belle prouesse.
Froid mais raffiné, élégant et terriblement magnétique, cet Hannibal-là inspirerait presque de la sympathie si on ne connaissait pas les travers culinaires du personnage. Et d’ailleurs, le début de la série ne révèle rien des méfaits du Dr Lecter, afin que le public puisse accepter ce personnage au patronyme si emblématique. Hannibal n’est là que pour aider Will à vaincre ses démons. La diction de Mikkelsen, envoutante à souhait et son regard aussi séduisant qu’inquiétant hypnotise le spectateur, qui une fois séduit, se retrouve d’un coup confronté à la froide violence de ce personnage impassible.

L’esthétique macabre : je l’ai dit plus haut, mais Hannibal n’est pas une série à mettre entre toutes les mains en raison de sa violence. Autant le dire tout de go : c’est gore, ça sanguinole et ça coupe l’appétit. Les scènes de crimes des premières saisons sont toutes plus recherchées les unes que les autres. Il faut reconnaitre que les scénaristes se sont bien creuser la cervelle (Hannibal aurait adoré) pour trouver des mises à mort toujours plus sophistiquées et toujours plus dérangeantes. Je pense à la culture des champignons ou aux anges écorchés vifs  de la saison 1, au cheval ou au tableau humain de la saison 2 ou au sort de ce pauvre Dr. Chilton dans la saison 3 (ceux qui savent savent ; les autres, je préfère ne pas vous dégouter en allant plus loin dans les descriptions). J’en passe et des plus rouges.
Mais bizarrement, cette violence est superbement mise en image. L’attention accordée à la réalisation, à la photographie et aux décors lors des scènes gores tend à magnifier tout ce qui devrait, de prime abord, nous rebuter. On découvre alors de véritables œuvres d’art morbides et lugubres, qui ne sont pas sans rappeler de nombreuses peintures célèbres, d’ailleurs maintes fois citées dans la série. Et c’est là encore une prouesse d’Hannibal : réussir à repousser les limites du macabre sur un des networks majeurs sans pour autant se vautrer dans un voyeurisme malsain (coucou the Walking Dead).


L’esthétique culinaire : qui dit Hannibal Lecter dit viande rouge saignante. Et tous ses dérivés. On le sait, le psychopathe aime cuisiner et il le fait bien. Il adore mettre les petits plats dans les grands. Pour lui, la bouffe, c’est une religion.
Les scènes de cuisine de la série sont tout aussi sophistiquées et recherchées que les scènes de meurtres. Parfaitement réalisées, impeccablement mises en lumière, et toujours accompagnées d’une musique classique relaxante, elles donneraient presque faim si on veut bien oublier d’où provient la viande. Ces mets très raffinés sont de véritables sculptures, aussi travaillés que ne le sont les cadavres découverts par Graham et son équipe. En réalité, l’élégance est un pilier de la série, à tout niveau : les décors, les costumes, la musique… Mais ce sont bien les recettes d’Hannibal qui reflète le mieux sa grâce et sa beauté.



Gillian Anderson (interprète de Bedelia Du Maurier) : Bon alors là, j’avoue que c’est le fan de l’actrice qui parle. Je n’y peux rien et je ne me l’explique pas, mais quand Gillian Anderson est à l’écran, je suis happé, captivé, hypnotisé. Elle n’a pourtant pas un rôle des plus intéressants – elle joue la psy d’Hannibal – et elle est même plutôt mal servie par la saison 3 (hormis quelques scènes avec notamment Zachary Quinto qu’on aime aussi très fort) mais elle n’a rien perdu de son charisme légendaire. Plus proche de Stella Gibson (The Fall) que de Dana Scully (X-Files), Bedelia marque une nouvelle étape dans la carrière décidément très réussie de Gillian.

La série a été souvent critiquée pour sa noirceur, pour sa lenteur ou pour ses digressions à ses débuts. Mais c’est une franche réussite : captivante, angoissante, parfois sordide, elle nous a plongé dans un univers malsain mais terriblement élégant. Comme si les bonnes manières servaient à compenser l’amoralité. Hannibal ne se regarde pas à la légère mais elle compte sans aucun doute parmi les meilleures séries proposées par les networks ces dernières années. A déguster avec finesse pour ceux qui seraient passés à côté.